Dans mon jeune temps (vas-y mamie on t’écoute !) j’ai eu une lubie : j’ai voulu être rousse.
Etant plutôt du genre brune-brune-noir-corback, autant vous dire que la métamorphose ne fut pas chose aisée mais avec de la persévérance j’ai réussi.
… et là, j’ai découvert l’étrange fantasmagorie qui entoure le roux.
Si aujourd’hui les superstitions et autres légendes n’ont plus vraiment de prégnance, vous admettrez que le roux attire bien plus le sobriquet que le brun par exemple :
il est rouquemoutte ou rouquin voire poil de carotte tandis que le brun… baaah… il est brun et pis c’est tout !
Les premiers à avoir pointer le roux du doigt sont les Égyptiens.
Selon eux, la rousseur renvoyait au dieu Seth, seigneur du désert, doté d’une nature violente, d’un caractère irascible et manipulateur qui régnait sur le désert…
et comment dit on « désert » en arabe ? « dashre » ce qui signifie « terre rouge ».
Seth est souvent représenté doté d’une queue fourchue avec une tête de sanglier, et est couramment surnommé « aissu », c’est à dire « le diable roux ».
Selon Plutarque, des sacrifices d’êtres humains roux étaient pratiqués en l’honneur de ce dieu.
Pour Montesquieu, ce sont tous les roux qu’on passait au fil du couteau !
Du coté de la mythologie grecque c’est Typhon qui est roux.
C’est une divinité primitive plutot malfaisante dont les doigts sont des centaines de serpents et dont le corps est tantôt un ouragan destructeur, tantôt un gigantesque monstre cracheur de flamme.
Pour calmer sa fureur, on lui sacrifiait des hommes roux ; tradition probablement issue d’Égypte.
Toujours en Grèce, on aurait pu espérer quelque chose de plus « scientifique » de la part d’Hippocrate : eh bah non !
Au 5ème siècle avant J.C. il élabore sa théorie des 4 humeurs et pose les bases du zoomorphisme.
Chaque homme correspond un animal et le roux est assimilé au renard, réputé pour sa malice et son instinct voleur ainsi qu’ aux cochon, animal sale et lubrique.
Chez les romains, plus précisément dans les théâtres, ce sont les personnages d’esclaves ou de bouffons qu’on distingue avec des masques aux cheveux roux. « Rufus » est alors une injure du langage courant à Rome ( l’équivalent de notre « con » en gros)
En Galilée, les roux passaient pour avoir été conçus pendant les règles de leur mère
Le nouveau-né était alors condamné à porter sur lui toute sa vie la marque de son essence impure.
Enfin, jetons un oeil du coté de la Bible…
Dans l’ancien testament, le roux est Esaü, fils aîné d’Isaac et Rebecca. On le surnomme « le rouge » en raison de son importante pilosité rousse qualifiée de véritable fourrure de bête.
Son caractère frustre et impulsif le pousse à échanger son droit d’aînesse avec son frère Jacob pour un plat de lentilles !
(NdlR : Esaü et Jabob sont également à l’origine de l’expression « qui va à la chasse perd sa place » : cliquez ici pour en savoir plus )
Dans le nouveau testament, en revanche, les roux sont un temps épargnés… puis l’iconographie s’en mêle !
Progressivement Judas est représenté avec une chevelure rousse tandis que rien ne le stipule dans les écrits.
D’autres félons et traîtres célèbres seront tour à tour distingués par une chevelure ou une barbe rousse : Caïn, Dalila, Saül, Ganelon, Mordret…
Le roux devient alors la couleur la plus honnie de toute la Chrétienté et petit à petit le « roux » s’étend à toutes les catégories d’exclus et de réprouvés : juifs, musulmans, bohémiens, suicidés, etc.
Quid de la France dans tout ça…
Chez nous les superstitions sont à leur apogée à la fin du Moyen-Âge.
Pèle mêle ont peut citer :
– Les roux sont en réalité des loup-garous et croiser leur chemin est le pire des présages.
– Les taches sont impures et suspectes, et les tâches de rousseur ne font pas exception. Le roux est porteurs de maladies en tout genre telle que la tuberculose ou la lèpre et mieux vaut ne pas le cotoyer.
À cette impureté épidermique s’ajoute une connotation d’animalité : l’homme roux est recouvert de taches comme les animaux les plus cruels : le léopard, le dragon et le tigre, les trois ennemis du noble lion.
Et pour les femmes rousses, on rajoute une (bonne) couche de connerie bêtise :
– elles sont des pécheresses tentatrices et hérétiques.
Leur pilosité sulfureuse les apparente à la sorcière ou à Marie-Madeleine (prostituée repentie certes… mais dont la chevelure rousse témoigne de sa vie passée… évidemment !)
– En 1254, Saint-Louis ordonne aux prostituées de se teindre les cheveux en roux, pour bien les distinguer des femmes respectables.
– elles ont interdiction d’être des nourrices suite à un rapport très sérieux, rédigés par de vrais médecins stipulant que leur lait est impropre à la consommation car trop chaud !
– enfin près de 20,000 rousses finiront sur le bucher avec la tristement célèbre Inquisition.
Celles qui portent des taches de rousseur seront même accusées de forniquer avec le diable : chaque tache représentant un acte sexuel.
Heureusement, l’art de la renaissance freinera un peu les ardeurs des plus superstitieux en reconnaissant la beauté des femmes rousses : nombre de nymphe et autre canon de beauté peint à l’époque arborent une fière crinière rousse… même si on appelait ça « blond vénitien »… ca devait faire plus chic 😉