Les annulations de mariage et les répudiations, en Histoire, on a l’habitude.
Si ces dames râlouillent un peu au début, en général, elle finissent par accepter leur sort.
Mais pas Ingeburge*.
« Du er smuk Philippe-Auguste min gode mand, du kommer ikke til at slippe af med mig sådan! »
(comme vous ne parlez pas danois, je vous traduis : « T’as beau être Philippe-Auguste mon bonhomme, tu vas pas te débarrasser de moi comme ça ! » )
Mais je vais trop vite en besogne; commençons par (re)planter le décor.
1192, Philippe II Auguste est veuf depuis deux ans et il n’a qu’un seul fils. Il se cherche donc une épouse pour renforcer sa descendance.
Le parti est bon et les prétendantes ne manquent pas pourtant le Roi ne convole pas.
Pourquoi ?
A cause de la consanguinité qui plane au dessus des épousailles royales telle une épée de Damocles.
Alors Philippe-Auguste fait d’une pierre deux coups et tourne son regard vers le Danemark.
Outre l’impossible consanguinité, une alliance avec Valdemar (papa de Ingeburge) pour contrer l’Angleterre est séduisante.
Apparemment bien plus que la jeune blondinette de 18 ans dotée à 10.000 marcs d’argent qui n’est pourtant pas laide du tout mais les goûts et les couleurs…
La rencontre entre Philippe et Ingeburge a lieu à Amiens le 14 août 1193 et le mariage est célébré dans la foulée en la cathédrale de la ville.
Que le Roi soit fébrile avant ses noces, c’est compréhensible… ce qui l’est moins, c’est qu’il le soit aussi le lendemain.
Il est pâlot, tremblotant et il se raconte qu’il a quitté la chambre nuptiale à plusieurs reprises lors de la nuit de noces.
Vraiment pas bien, il écourte la cérémonie de couronnement de Ingeburge en criant à la sorcellerie.
Il ne veut plus de ce mariage et intime aux ambassadeurs du Danemark de repartir dare-dare avec leur princesse sous le bras sans expliquer les raisons de revirement.
Evidemment, les ambassadeurs refusent et il est convenu que la jeune Reine rejoindra le monastère de Saint-Maur-des-Fossés en attendant qu’il soit décidé de son sort.
Il fût dit que la danoise n’était pas vierge ou qu’elle avait le corps couvert d’écailles mais
aujourd’hui l’hypothèse la plus probable pour expliquer le comportement du monarque est que sa Majesté ne fût pas majestueuse sous la couette.
Aiguillettes nouées qu’il attribua à quelque diablerie de sa femme (évidemment !) alors qu’il s’agirait plus vraisemblablement d’une conséquence résiduelle de la grave maladie, peut-être une typhoïde, contractée lors de la troisième croisade qui lui avait déjà fait perdre ses cheveux, sa barbe, ses ongles, ses sourcils, et toute sa peau.
Trois mois plus tard, en novembre 1193, Guillaume de Champagne, l’archevêque de Reims (qui s’avère être le tonton de Philippe Auguste) résilie l’union au motif d’un prétendu cousin éloigné commun retrouvé dans on se sait quel registre mais Ingeburge refuse la sanction et en appel au Pape. (notez que c’est quasiment le seul mot qu’elle sait dire en latin.)
Rome, comme toutes les cours d’Europe, s’émeut du sort de la pauvre princesse bafouée qui s’accroche à son devoir et à cet époux qui est (malgré tout) le sien et ordonne un concile pour dénouer la situation.
Choux blanc.
Enfin pas exactement. Disons que les conséquences ne furent pas celles attendues.
Le Saint Père annule l’annulation du mariage et ordonne à Philippe de reprendre son épouse.
Mais celui-ci refuse obstinément et décide de migrer Ingeburge de St Maur à la tour d’Etampes..
Ce qui lui laisse les coudées franches pour… convoler avec Agnès de Méranie.
Il faut dire que trouver cette épouse ne fût pas chose aisée.
Après ce qu’il avait fait à la pauvre Ingeburge, et sachant qu’il avait déjà tenté de répudier Isabelle de Hainault, sa première épouse, les prétendantes ne se bousculaient plus au portillon.
Fichtre !
Techniquement Philou est bigame et ça ne plait pas, mais alors pas du tout, au Vatican.
Le Vatican ordonne un deuxième concile en 1199 qui ne se passe pas mieux que le premier.
Bilan : Le mariage avec Agnès de Méranie est annulé et le Roi est excommunié.
Mais n’allez pas croire que ça lui a fait peur à Philou. Il s’obstine.
Et vlan !
3ème concile qui cette fois jette l’Interdit sur le Royaume.
Pour celles et ceux qui l’ignorerait, l’Interdit empêche toute célébration et tout sacrement religieux sur le sol qui en est frappé.
En d’autres termes : plus de mariage, plus d’enterrement, plus de baptême…. Quedalle, l’Eglise boude votre royaume. (C’est par ailleurs cet Interdit qui forçat Louis VIII et Blanche de Castille à se marier en Normandie, alors indépendante du Royaume de France)
Devant la colère des français et le nombre de charniers qui grossit à vue d’oeil, le Roi plie… un peu.
En tout cas, il le fait croire et accepte de ne plus revoir Agnès.
Rome lève l’Interdit.
Mais l’Eglise se rend vite compte du mensonge puisque Dame Agnès se retrouve grosse de son troisième enfant.
Re vlan !
4ème concile en forme de procès cette fois-ci, parce que quand même, l’Eglise trouve qu’il abuse le Philippe, et elle n’a pas tort.
Sachant la partie perdue d’avance, le Roi tente un coup de poker : il accepte d’éloigner Agnès et de libérer Ingeburge (qui, ne l’oublions pas, est toujours en prison) en échange de la légitimation de ses enfants.
Le marché consenti par l’Eglise mais, une fois encore, le filou Philou la joue à l’envers.
Il ne libère pas Ingeburge qui reste dans son donjon d’Etampes et va même jusqu’à se chercher une nouvelle épouse ! (J’ai oublié de vous dire qu’Agnès était morte en couches entre-temps).
Mais cette fois-ci ça ne prend plus.
Après avoir tenté un dernier tour de passe-passe en prétextant que le mariage n’avait jamais été consommé, Philippe comprend qu’il n’arrivera jamais à obtenir l’annulation de ce (maudit) mariage par le Vatican.
Il change alors de stratégie et harcèle Ingeburge pour la faire craquer afin qu’elle renonce d’elle-même à leur union.
Mais contre toute attente, et malgré les mauvais traitements et les humiliations, elle s’accroche et refuse d’accéder à la requête de son époux…. et ce, pendant plus de dix ans.
De guerre lasse et ayant écumé tous les recours, Philippe-Auguste dépose les armes en 1213.
Il accepte la libération de son épouse et lui restitue ses droits de Reine de France.
Pas rancunière, Ingeburge prend place aux côtés de son époux et dès lors, vit en bonne intelligence avec lui, sans tenter de lui faire payer ses 19 années passées de couvent-cachot en chateau-prison, pour une simple histoire de panne sexuelle non assumée !
* Selon les sources, Ingeburge est également appelée Isambour, Ingeborg ou encore Isemberge.