Comment plusieurs coeurs royaux devinrent du vernis de peinture ?

tableau interieur de cuisine de Martin Dolling qui pourrait avoir été vernis avec de la mummie faite à partir de coeurs royaux, dont celui de Louis XIV


Il y a peu, je vous parlais de la profanation de la sépulture de Louis XIV dont le corps finit tout simplement jeté à la fosse. (pour relire cet exceptionnel, magnifique, incontournable article PCPL, clique donc sur le bouton ! )

Mais comme il était d’usage à l’époque, le coeur et les viscères du défunt roi avaient été ôtés de l’enveloppe corporelle pour reposer ailleurs : ils ne subirent donc pas la profanation de Saint Denis.

« Ouf ! » me direz-vous
C’était sans compter sur la pugnacité des Révolutionnaires dont un certain Louis-Francois Petit-Radel.

portrait de louis francois petit radel qui vendit des coeurs royaux à saint martin et martin drolling pour faire de la mummie
Louis Francois Petit-Radel, dessinateur pas mauvais et architecte médiocre, n’est pas connu pour la splendeur de ses constructions mais plutôt pour leur DÉconstruction.

L’un des ses faits d’armes les plus notoires est d’avoir mis au point une méthode sans danger pour « mettre par terre une église gothique en dix minutes ».

Allez savoir pourquoi un architecte préférait abattre plutôt qu’ériger…
Peut-être n’avait-il pas bien écouté à l’école et tout compris de travers.

Toujours est-il qu’il prouva la validité de sa méthode en détruisant, en mars 1792, l’église Saint-Jean-en-Grève.

L’autre acte remarquable du monsieur serait d’être responsable de la fin tragico-artistique de plusieurs coeurs royaux.

En 1793, lors de la vague de profanations des sépultures royales (on était alors bien décidé à effacer toute trace de l’infâme royauté), Petit-Radel fut chargé par le Comité de Salut Public de détruire les 45 cœurs des princes et princesses de la maison de France conservés dans la chapelle Sainte-Anne de l’église du Val-de-Grâce, ainsi que les cœurs de Louis XIII et Louis XIV reposant, eux, dans l’église Saint-Louis des Jésuites.

Mais Petit-Radel s’autorisa quelques coups de canif au contrat.

S’il ouvrit bien tous les reliquaires, il ne détruisit pas tous les coeurs.

Comme rapporté notamment dans le livre « Histoire insolite » d’André Castelot, Petit-Radel « sauva » une dizaine de coeurs royaux (entre 13 et 15 selon les versions)… pour les vendre à des amis peintres !


Au 18ème siècle, un enduit venu d’Orient était particulièrement recherché par les artistes : la mummie.

Cette substance, obtenue en faisant macérer des substances organiques momifiées dans un bain d’alcool et d’herbes aromatiques valait une fortune mais permettait, une fois mélangée à de l’huile, d’obtenir un glacis exceptionnel pour ses toiles.

Alors quand Petit-Radel proposa à Saint-Martin et Martin Drolling de quoi en fabriquer à moindre frais : ils sautèrent sur l’occasion.

Martin Drolling se porta ainsi acquéreur des coeurs de Anne d’Autriche, Marie-Thérèse d’Espagne, de la Grande Mademoiselle, de Philippe d’Orléans, du duc et de la duchesse de Bourgogne, de Henriette d’Angleterre…

Pour être bien sûr de ne pas en perdre une miette, Drolling s’empressa de les débiter en p’tits bouts et de les mettre en tube dès son retour dans son atelier de la Rue de Sèvres.
Dès lors il utilisa sa mummie jusqu’à épuisement pour sublimer ses croûtes.

Si l’envie vous prenait de vouloir rendre hommage à nos têtes couronnées, vous pouvez donc tenter votre chance devant « Le marchand forain », « la salle à manger », « la maîtresse d’Ecole » ou encore le célèbre « intérieur d’une cuisine » qui fut exposé au Louvre jusqu’en 1959 (aujourd’hui au Musée de Strasbourg)

Saint-Martin quand à lui acheta les cœurs de Louis XIII et de Louis XIV.
Sans doute plus parcimonieux que son collègue, il n’utilisa pas du tout celui de Louis XIII et n’entama que partiellement celui de Louis XIV (le coeur du Soleil était réputé très gros).

Sous la restauration, il pu ainsi faire amende honorable et restituer ses emplettes à Louis XVIII qui le dédommagea d’une très chouette tabatière en or pour son geste !

Les restes des deux cœurs reposent désormais (enfin ?) en paix dans la Basilique Saint-Denis.

Quid des coeurs qui ne furent pas vendus ?
Ils auraient tout simplement été jetés par terre, dans la rue, pour être piétinés.

Le soucis de précision étant ma marotte, je me dois de vous avouer que rien, aucune preuve formelle, ne vient étayer cette rocambolesque histoire de mummie.

Tout ça pourrait n’être que l’élucubration de Henry Schunck, un bourgeois parisien qui acquit, lors de la vente du mobilier de Petit-Radel après sa mort, la plaque du reliquaire du coeur de Louis XIV et qui, sous prétexte de vouloir en retracer l’histoire, aurait rencontré Saint-Martin qui lui aurait alors conter toute l’histoire.
Le récit de Schunck fut consigné dans la nouvelle « Coeurs de Rois » de Lenôtre en 1905… la rumeur était lancée.

reliquaire du coeur de Louis XVII visible à la basilique de saint denis pour illustrer l'article PCPL dédié a la profanation des coeurs royauxFinissons en précisant que la profanation des reliquaires de la chapelle Saint-Anne n’en est pas à une légende près puisqu’elle est aussi à l’origine du mythe de la survie de Louis XVII (Louis-Charles de France).

Le fils aîné de Louis XVI et Marie Antoinette, Louis-Joseph étant mort de tuberculose osseuse (Mal de Pott) en 1789 à l’âge de 8 ans, la charge royale incomba à son petit frère : Louis-Charles qui devint Louis XVII suite à la mise à mort de papa.

Or, l’urne du coeur de Louis-Joseph comptait parmi les reliquaires profanés.

Les partisans de la théorie de la survie de Louis XVII affirment donc que le coeur exposé aujourd’hui encore à Saint Denis est en réalité celui du premier fils né, Louis-Joseph, et non celui de Louis-Charles (afin de cacher au peuple la survie du « Petit Roi », officiellement mort au Temple en 1795… vous voyez le truc ? )