Tiens ! Ca fait bien longtemps qu’on n’a pas parlé de ma grand mère vous ne trouvez pas ?
Vous savez, cette douce mamie qui était la mienne mais qui à elle toute seule pouvait rivaliser avec le dictionnaire de l’argot en 12 volumes !
Ma maminette avait coutume de m’appeler « L’arsouille » quand j’étais petite.
Ne me demandez pas pourquoi, mais d’un coup d’un seul, entre la poire et le fromage, j’ai voulu savoir ce que ce mot signifiait précisément.
J’ai alors découvert que dans le langage courant actuel, l’arsouille désigne un peu tout et n’importe quoi pourvu que ce soit du bon vivant
Un enfant malicieux (merci mamie) mais également un coquin, un fetard etc peuvent se voir affublé du qualificatif
Pourtant, en poussant un peu plus avant mes recherches, j’ai aussi découvert qu’à l’origine, ce mot ne voulait pas du tout dire la même chose, et qu’un charmant monsieur en avait fait les frais sans avoir rien demandé à personne!
Pour nos arrière-arrière-arrière-arrière-grands-parents – vous rajouterez autant d’ « arrière » que nécessaire pour arriver jusqu’à la Monarchie de Juillet (c’est à dire entre 1830 et 1848) – l’arsouille désignait le fond de la crapulerie et de l’infection, le plus bas degré qu’on puisse atteindre dans l’abjection.
Alors qui croisait un « Milord Arsouille » faisait bien de changer de trottoir !
C’est Lord Seymour, riche aristocrate anglais, descendant des ducs du Sommerset, vivant à Paris, qui eut l’honneur de porter en premier ce titre sans l’avoir vraiment mérité !
Certes Lord Seymour aimait la boxe et les chevaux, deux mondes dans lesquels il croisa sans doute des arsouilles de haut rang, mais aucun crime, aucun vol, nulle indélicatesse ne lui furent jamais été reprochés.
On a dit même qu’il faisait volontiers l’aumône aux mendiant à cela près qu’il aimait à dire qu’en agissant ainsi « il en faisait des assassins en leur inoculant le goût du luxe ».
Bon,
L’humour est un peu grinçant, voire un peu pervers je le reconnais, mais jusque là, rien ne justifie vraiment que Lord Seymour soit « Milord Arsouille »…
Comment expliquer alors qu’en Aout 1859, une semaine seulement après le décès de Lord Seymour, on ai pu lire dans le figaro la nécro suivante :
« Il ne se commettait pas à Paris une folie retentissante, un grand scandale, une orgie insensée, il ne se faisait pas un pari impossible, une partie ruineuse, une mascarade fastueuse que lord Seymour n’en fût pas l’auteur. Il ne se donnait pas dans tout Paris un coup de poing, un coup d’épée, un coup de canne ; il ne se livrait pas dans un carrefour parisien un grand duel à la savate ou à la boxe, que lord Seymour n’en fût accusé, que dis-je, n’en fût glorifié ».
Vers 1832, un certain La Battut, Londonien d’origine lui aussi, élevé sur le pavé parisien lui aussi, boxeur lui aussi, qui fricotait avec la pègre parisienne (là je ne sais pas ce que faisait Lord Seymour de ses dimanches…), hérite d’un solide capital suite au décès de son pharmacien de papa.
Le bougre de La Battut y voit alors l’occasion de se tailler une réputation dans la populace et décide de dilapider sa fortune fraichement acquise dans les bouges et autres tripots de jeux de la capitale.
Payant tournées sur tournées, il devient vite l’idole des bas-fonds !
Et c’est là que la confusion se fait, au frais du pauvre Lord Seymour.
Dans « En France Jadis » de G.Lenotre, on peut lire :
« Un soir de dimanche gras de 1832, le boulevard fut mis en émoi par l’apparition d’un landau précédé de sonneurs de trompes et dont les six chevaux étaient montés par des postillons porteurs de torches flambantes […] Une ribambelle de travestis — pierrots crasseux, arlequins suspects et bergères d’occasion — lui faisait cortège, et l’homme qui dirigeait cette séquelle de malandrins — un colosse aux manières canailles — faisait stationner son carrosse aux bons endroits et descendait de son char pour provoquer les badauds et tomber sur eux à coups de poing.
C’était La Battut, qui, remonté sur son siège, jetait à pleines poignées des pièces blanches à la foule pour s’offrir le spectacle d’épiques pugilats.
Comme le bon public ignorait son nom, comme le bruit courait qu’il y avait à Paris un grand seigneur anglais, solide, gaillard, original, apôtre de la boxe et riche à millions, on eut vite fait de reconnaître en l’énergumène du landau l’opulent insulaire, et la cohue, reconnaissante de ses largesses, criait à pleine voix : “Vive lord Seymour !” . Cela devint une tradition… »
En somme ce pauvre Lord Seymour vécu plus de 25 ans avec la mauvaise réputation d’un autre, juste pour avoir eu un humour de merde notoire !
Pensez y la prochaine fois que vous ferez une mauvaise plaisanterie !